Marabella-Rose Canterbury
J’observais, moins embrumée que je l’aurais pensée, chacune des gouttes du liquide noirâtre qui sortait de ma cafetière pour tomber dans son immense pot en verre. J’étais restée, et depuis bien longtemps, au café filtre, plus facile de doser et d’en faire en grande quantité. Ce matin, en tous cas, je ne regrettais pas mon choix. J’avais passé, encore, une nuit à Crimson Beer, et je n’avais même pas pris la peine de rentrer chez moi. À vrai dire, j’étais revenue au travail vers cinq heures trente du matin, nourrie, et surtout totalement sous l’emprise de l’alcool et des substituts, avant de me laisser choir sur mon canapé qui avait la dose parfaite entre le confort et l’inconfort. J’avais à peine dormi, non, a sept heures quarante j’étais déjà opérationnelle, propre, habillée de ma combinaison de chasseuse, et j’avais enfilée deux cafetières entières. J’en étais donc à ma troisième, et je l’attendais profondément, la paperasses que j’étais forcée de remplir, ces dizaines et dizaines de rapports, de formulaires, de récépissés, de demandes incongrues, s’empilaient, s’entassaient, et en plus de les signer je devais les relires, les comprendre et même parfois les écrires. Et personnellement, j’étais vraiment arrivée au bout de mon attention. Fort heureusement ma porte s’ouvrit avec fracas pour laisser passer blême mon secrétaire.
- Commandante ! Nous avons un problème !
Alors je souris. Après tout que serais la ULTIMATE Death Company sans ses incroyables explosions dans les laboratoires de RIP Pharma ? Pas grand-chose de semblable, peut-être plus apaisant, plus conséquent. Un plaisir partagé, une envie de travailler pour les autres services, mais moins de travail pour ma petite personne. Alors oui, j’aimais RIP Pharma et ses explosions, j’aimais Vivante et ses plans ridicules, insupportables, et ses bombes artisanales qu’elle disséminait au petit bonheur la chance me donnant constamment des missions, tantôt difficiles et dangereuses, tantôt tellement faciles que je les terminais aussi vite que je les avais rencontrés.
Quand j’arrivai à RIP Pharma l’alarme retentissait encore et déjà un bon nombre de cadavres s’amoncelaient jusqu’à la piste que je remontais. La chose en question, du plus bas sous-sol de l’Entreprise, enfermé dans les cages de hautes sécurités s’était échappé, sans aucun doute grâce à la concupiscence de notre chère PDG, et avait réussi à se nourrir bien plus que ce que je l’aurais pensé en si peu de temps. Pas de traces de coulés vertes, ou jaunes, ou roses, pas de têtes ou de membres arrachés, pas d’organes apparents, mais des lacérations qui me plaisaient moyennement. Il semblait aussi assez gros pour faire des trous énormes dans les murs, les portes ce n’était visiblement pas son truc. Je pouffai à cette pensée, avant de bifurquer jusqu’à l’étage des laboratoires, le plus peuplé. Oh.
Eh bien, le voilà donc, dans toute sa splendeur. Non pas que les CDNO étaient toujours des gravures de mode, mais celui-là était quand même particulièrement moche. Voûté sur lui-même, fin, mais immense, des griffes de la taille de mes jambes et surtout une gueule béante, difforme et coulante. Sur son dos, se mêlaient coupures, piqûres et pustules, pullulantes, vibrantes. Il fumait, il hurlait, il sentait le cadavre trop frais. Je ne l’aimais que moyennement, mais je n’avais que peu le choix. Je repérais, sans trop de difficulté, le•a dernier•ère survivant•e de la pièce, enroulé•e autour de ses genoux. Alors j’attrapai un débris, visant parfaitement bien, et le lançai dans le creux de ses omoplates avant de l’alpaguer.
- Eh ! Eh ! Viens me voir !
Cela semblait fonctionner, il changeait déjà de sens et s’approchait, merde, bien trop vite vers moi. Je sautai sur le côté, l’évitant in extremis, avant de rouler pour me réceptionner sans trop de difficulté. Je pris en main mon Remington 870 P. Instinctivement, et tirai en plein dans son cœur, pas suffisant. Le coup qu’il m’assenait fut violent et fit claquer ma tête contre le mur. Sonnée, mais encore vive, je lui sautai dessus en retour, assez pour le faire basculer et tomber avec moi à la renverse, avant de lâcher mon Remington au profit de mon Colt M 1911. Je saignai, cela semblait l’émoustiller tant il sortait sa langue ignoble pour m’atteindre. Je tirai jusqu’à vider mon chargeur, avant de planter, si violemment autant que mes bras le permirent un hachoir dans son crâne, à plusieurs reprises.
- Mais c’est quoi ton putain de problème ?!
Il me fit rouler sur le côté, grimpait sur moi, j’échappai à un coup de ses griffes distordues avec une chance insolente. Je poussai un cri de rage avant de lui glisser entre les doigts, sautant agilement sur un des plans de travail pour lui lancer, sans distinctions, tout ce qui me tombait sous la main. Il m’envoya une chaise dessus, je lui rendis la sympathie avec des béchers, des fioles et des erlenmeyers remplit de liquides qui ne me semblaient pas vraiment bons pour ma peau ou pour mes bronches. Il recula, semblait brûler, et merde, je l’avais sûrement mis en colère en vu du saut incroyable qu’il fit pour m’atteindre. Je le laissai approcher, et alors qu’il voulut me mordre, ou me hurler dessus au choix, j’enfournai dans sa bouche une grenade dégoupillée. Je roulai, attrapai l’inconnu•e par les bras avant de plonger de tout mon long dans le trou béant qu’il avait laissé en arrivant. Nous réussîmes à terminer globalement intact, pas comme le CDNO qui avait quant à lui explosé en plein de petits bouts retapissant les murs du laboratoire. Ahaha, si habituel. Je portai une main à ma tête, j’avais visiblement pris un sale coup et aurais sûrement besoin de points, avant de m’accroupir à ses côtés.
- Vous allez bien ? C’est bon, s’est terminé.
Ma voix était douce, je posai une main sur son épaule, tentant d’être un maximum rassurante.
- Je m’appelle Marabella-Rose, et je vais vous sortir d’ici, d’accord ? Quel est votre nom ?