Et nous revoilà en direct de la maison Darkside, à Rose Quartz, où nous nous trouvons en compagnie d’Infinie Darkside en personne! Bonjour madame Darkside, merci de nous recevoir, nous savons que vous avez un emploi du temps chargé…
Bonjour et bienvenue. Je vous en prie, tout le plaisir est pour moi.

Trop aimable. Si cela vous convient, nous allons commencer par quelques questions génériques que nous posons à tout le monde, un peu à la façon d’un portrait chinois, puis nous aborderons le vif du sujet.
Et bien… Oui, pourquoi pas? Allons-y, je vous écoute.

Alors, première question: si vous deviez vous décrire, quel serait votre principale qualité? Et votre principale défaut?
Je dirai mon perfectionnisme, pour les deux. C’est une qualité qui me pousse à toujours chercher à donner le meilleur de moi-même, mais cela peut vite devenir un défaut quand elle tourne à l’obsession du détail ou que je projette mes exigences sur autrui.

Si vous étiez un péché capital, lequel seriez-vous?
L’envie.

Si vous étiez un animal, lequel seriez-vous?
Un chien. Ne dit-on pas «chienne de Vie»?

Quel est votre style de films, séries, jeux vidéos, lectures?
Ouh, vaste question! Alors, les films… Je suis très orientée films d’auteurs, d’art et d’essai, j’aime beaucoup le cinéma japonais, très lent et contemplatif. Pour ce qui est des séries, je suis une grande consommatrice de télé-réalité, notamment The Real Housewives of Berverly Hills, ironiquement! (rire) C'est mon péché mignon. Les jeux vidéos, je n’y ai jamais vraiment accroché, mis à part les jeux mobiles que j’ai sur mon GSM peut-être, pour passer le temps… En littérature je suis moins exigeante, je lis un peu tout ce qui me passe sous la main. J’ai un petit faible pour la littérature d’horreur, les humains ont un certain don pour imaginer le pire…

Votre chanson culte et votre chanson honteuse?
Pour tout vous dire, j’écoute assez peu de musique, mais j’aime bien mettre du Frank Sinatra comme fond sonore quand je reste à la maison. Ou The Dø! Vous ne me trouvez pas un air de famille avec Olivia Merilahti? Sinon… Ce n’est pas vraiment honteux, mais j’aime beaucoup Beautiful Trauma de P!nk. Le clip en particulier me parle énormément, je ne sais pas pourquoi…

Quel serait votre repas de condamnée à mort?
Un brunch. Avec du saumon en bellevue, des œufs brouillés, des bagels au cream cheese, une salade d’avocat et de pamplemousse, plusieurs choix de boissons chaudes et bien sûr un bon mimosa bien frais.

Vous auriez plutôt tendance lors d'une fête à vous placer au centre de la pièce ou plutôt contre les murs?
La plupart des fêtes auxquelles je suis présente sont les galas que Daemon et moi organisons, je n’ai donc pas d’autre choix que d’être au centre de l’attention, à recevoir nos invités. Mais pour être honnête avec vous, parfois j’ai juste envie de devenir invisible et de tenir compagnie au buffet toute la soirée! (rire)

Quels sont vos odeurs favorites?
(elle rougit) L’odeur de Daemon quand il vient juste de prendre une douche. Ou celle du bacon et des œufs le matin… et cette délicieuse odeur de la terre après une grosse averse. Saviez-vous qu’elle est appelée petrichor, le «sang des pierres»?

Quels sont vos passe-temps?
En ce moment, l’arrangement floral. (elle montre un bouquet de branches et de fleurs blanches sur la table basse) Je suis également très portée sur tout ce qui est textile, le tricot, le crochet, la couture. J’aime beaucoup réaliser des petites peluches de monstres que je laisse aux nouveaux-nés. Certains les trouvent terrifiantes, mais je pense qu’elles sont toutes mignonnes, multicolores comme elles sont… Et je réalise aussi la plupart des tenues de Stevie!

Stevie? Vous voulez sûrement parler de votre loulou de Poméranie… Steven Spitzberg, c’est ça?
Oui, Stevie est son petit surnom, «Steven Spitzberg» c’est un peu long à appeler parfois. D’ailleurs, où est-il? Stevie! Viens voir maman et les gens de la télévision! (un spitz nain zibeline arrive en trottinant joyeusement) Oooh, bon garçon! Vous le voyez au naturel, je ne l’habille que pour le promener ou lors des grandes occasions. Il fait toujours sensation! Je pense qu’il a maintenant une garde-robe plus fournie que la mienne! (rire)

Il est vraiment adorable! Bon, dernière question avant de passer à la suite? Pensez-vous que la disparition des dinosaures est une tragédie?
Oh, pitié… (elle lève les yeux au ciel avec un sourire dépité) Je n’en peux plus d’entendre parler de cette histoire. Nous étions arrivés à un accord, et Dieu sait que c’est difficile – littéralement. Il était temps pour les dinosaures de laisser leur place. Je peux comprendre Faucheuse, ils étaient attachants à leur manière, mais quand on donne son accord, on ne revient pas dessus ensuite. Temps y est sans doute allé un peu trop fort, mais il était dans son droit. Je sais que cette histoire date d’hier, cela fait, quoi, à peine 65 millions d’années, mais il commence à être largement temps pour ma chère sœur de passer à autre chose.

C’est vrai, vous étiez présente ce jour-là! En effet, le public vous connaît principalement comme étant l’épouse du maire de la ville, mais il s’avère que vous êtes avant tout La Vie, l’une des plus anciennes Entités, créée par Dieu Tout Puissant lui-même…
C’est exact. J’ai été créée par Dieu après Le Diable et l’Ange Gabrielle mais avant Le Temps et La Faucheuse. En tant que telle, je suis omnisciente, immortelle et je peux bien évidemment contrôler l’espace-temps pour m’assister dans ma tâche, celle de superviser la reproduction des êtres vivants.

L’Ange Gabrielle avec qui vous êtes très amie, n’est-ce pas?
Tout à fait. Gabrielle et moi avons toujours été très proches et ce depuis le début. Elle m’a prise sous son aile, puis de fil en aiguille, au cours des millénaires, elle est devenue bien plus qu’une mentor. C’est véritablement ma confidente aujourd’hui et malgré son poste très prenant au sein de l’Entreprise et sa vie de mère, nous essayons de nous voir le plus souvent possible.

Une belle amitié comme ça, ça fait rêver! Mais cela ne pose-t-il pas de problèmes à votre époux? Il est de notoriété publique que Le Diable et l’Ange Gabrielle ne sont pas en très bons termes.
Euh… (elle esquisse un rapide sourire gêné) Il n’est pas de mon ressort de statuer sur les relations qu’entretiennent Gabrielle et Daemon… Il est certain que mon époux a très mal vécu le fait d’avoir été écarté de l’Entreprise avec le reste des Démons au profit des Anges. Toutefois, tout comme ses rapports avec Gabrielle sont une affaire privée qui ne regarde que lui, l’amitié que j’ai avec elle ne regarde que moi. Daemon et moi formons un couple très uni, nous partageons beaucoup de choses, mais nous savons aussi respecter le jardin secret de l’autre. Quand Gabrielle vient me rendre visite, il s’arrange simplement pour ne pas être là.

Que demander de plus dans une relation de couple, n’est-ce pas? Et si vous nous racontiez votre rencontre avec monsieur Darkside?
Et bien, il était présent dès notre «naissance», à moi, mon frère et ma sœur. Nous nous connaissons donc depuis toujours, mais là où j’étais la protégée de Gabrielle, lui s’est occupé de Faucheuse.

Et votre frère?
Le Temps… s’est retrouvé un peu tout seul, comme d’habitude, je dois bien l’avouer… (elle toussote et boit une gorgée de vin) Toujours est-il qu’au départ, Daemon et moi nous connaissions plutôt de vue, surtout qu’il s’est retrouvé à devoir gouverner Otherside par intérim à la place de ma sœur. Nos relations étaient cordiales, mais sans plus. Puis il y a eu ce fameux drame lors de la création de l’Entreprise… Je l’ai déjà rapidement évoqué mais Daemon a énormément souffert de la décision de Dieu Tout Puissant, soutenu qui plus est par Faucheuse, sa protégée. Il s’est senti trahi. J’ai été sensible à sa détresse, je suis allée le trouver pour lui offrir mon soutien, une oreille attentive, une épaule sur laquelle se reposer… Bon, pour tout vous dire, il était assez réticent à accepter mon aide au départ, j’ai dû insister un peu, mais le résultat en valait la peine! (rire)

Une situation confortable, un mari aimant, une amie fidèle… Tout semble vous réussir dans… la vie! Mais qu’en est-il de votre situation familiale? Votre relation avec votre sœur en particulier est connue pour être assez tendue…
(elle s’absorbe dans la contemplation de son verre de vin en se mordant distraitement la lèvre inférieure) Oui, malheureusement même moi je ne peux pas tout avoir dans la vie… Avec Le Temps, nous nous entendons bien. Il travaille comme un forcené, donc c’est assez dur de le voir, mais nous sommes assez complices. J’aimerais qu’il prenne plus soin de lui, son rythme de vie est terriblement malsain. Et j’aimerais aussi qu’il cesse de se voiler la face vis-à-vis de Murphy, je ne l’ai pas aidé à sauver la vie de cet Humain et en faire une Entité pour qu’en 110 ans il n’ai jamais trouvé le courage de l’inviter chez lui.

Quant à Faucheuse… J’ai beaucoup de choses à lui reprocher, des choses plus ou moins justifiées, plus ou moins avouables. (elle termine son verre et le repose sur le guéridon à côté d’elle) Je sais ce que les gens racontent: que je déteste ma petite sœur. Rien n’est plus faux. Je n’éprouve aucune haine vis-à-vis de Faucheuse. Nous ne sommes tout simplement pas faites pour nous entendre, je pense… Après tout, nous sommes naturellement opposées, je suis la Vie, elle est la Mort. Elle devait apporter la tristesse et la désolation, pourtant c’est elle la plus dynamique, la plus enjouée, celle qui surgit dans des nuages de paillettes et court par monts et par vaux, quand j’ai toujours été l’aînée sage, discrète et sérieuse. Alors bien sûr, les gens l’aiment bien. C’est elle la chouchoute, la préférée, toujours au centre de l’attention, à tirer la couverture à elle, puisque après tout elle est si drôle, si pleine de vie. Elle a bien choisi de se faire appeler Vivante, n’est-ce pas… (sourire amer) C’est honteux et puérile, mais je suis tellement jalouse de Faucheuse… Avant qu’elle n’arrive, et parce que Le Temps a toujours un peu fait ses trucs dans son coin, j’étais unique aux yeux de mon père, du Diable, de Gabrielle. Quand Faucheuse est arrivée, accaparant toute l’attention possible avec ses blagues et ses bêtises, j’ai eu l’impression de perdre cette place et l’amour qui en découlait.

Si vous deviez soutenir quelqu'un dans une guerre ouverte, serait-ce Le Diable, L'Ange Gabrielle ou La Faucheuse?
Vous me demandez de choisir entre mon mari, ma plus grande amie et ma propre sœur? (elle soupire, le regard perdu dans le vague) Je me suis déjà posée cette question, figurez-vous. Souvent même. Comment ne pas me la poser dans la situation où nous sommes? Mais je n’ai pas la réponse. Bien évidemment je pense immédiatement à mon mari, Le Diable. Il est tout pour moi et je suis tout pour lui. En je ne sais combien de milliards d’années d’existence, je n’ai jamais été vraiment heureuse que le jour de notre mariage… Je sais qu’il a ses défauts, qu’il donne énormément de travail aux avocats de l’Entreprise pour le couvrir, mais je le suivrai n’importe où, je ferai n’importe quoi pour lui. Je ne peux concevoir le reste de mon éternité sans lui à mes côtés. Et à côté de ça, Gabrielle est une amie inestimable, la seule à qui je peux tout dire, tout confier. Je l’aime tellement que l’idée de la perdre est insoutenable. Et enfin, ma petite Faucheuse… Tout nous sépare, mais au fond je sais que dans ce monde, elle est la seule comme moi, la seule qui peut me comprendre. Ce qui signifie que l’inverse est probablement vrai aussi: je suis la seule à pouvoir la comprendre. Si nous nous parlions encore, nous aurions tant de choses à nous dire…

Et pas votre frère? C’est une Entité également, non?
Ah! Oui, oui, bien sûr, Le Temps aussi… Mais comme nous parlions de La Faucheuse, je n’ai pas… pensé à lui.

L’Ange Gabrielle, Le Temps, La Faucheuse, presque tous vos proches travaillent au sein de l’ULTIMATE Death Company. Pourquoi pas vous? Pourtant vous étiez pressentie pour reprendre sa direction. Est-ce justement à cause d’un ressentiment envers Dieu ou La Faucheuse? À cause de votre mari?
Le choix de Dieu de favoriser Faucheuse pour lui succéder a été dur à avaler. En tant qu’aînée, tout le monde s’attendait à ce que j’ai la préséance… et très sincèrement, personne ne pensait – personne ne pense – cette grande enfant capable de gérer une entreprise. Mais les voies du Seigneur sont impénétrables, n’est-ce pas? Nous aurions dû nous en douter: aussi douloureux que ce soit à admettre, je ne peux pas nier le fait que Faucheuse est la favorite de notre père. Le Temps m’a défendu et s’est retrouvé mis au placard. Je n’ai pas voulu que d’autres personnes souffrent par ma faute, alors je n’ai pas insisté. J’ai laissé l’Entreprise aux mains de Faucheuse. Dieu ne voulait que je sois son héritière? Très bien. Son héritage, je m’en lave les mains: l’Entreprise pourrait brûler, je ne lèverai pas un doigt. De toutes façons, j’ai déjà beaucoup trop à faire.

À ce propos… aimez-vous votre métier?
Oh vous savez, ma vie de femme au foyer est assez tranquille. Daemon et moi n’avons pas d’enfants et la grande majorité des tâches ménagères est effectuée par notre personnel de maison. Mes journées sont donc principalement consacrées à m’occuper de Stevie ou des activités caritatives que nous organisons: galas de bienfaisances, garden parties, visites et soutiens d’associations… Mon mari est très engagé dans la protection de la vie marine.

Ah, euh, tout cela est très intéressant mais je voulais plutôt parler de votre travail divin, je…
Je sais, je sais. (elle pousse un long soupir) Mon «travail divin», hein…

Si vous ne souhaitez pas répondre, il n’y a aucun pro…
Non, je n’aime pas mon métier. (elle ferme les yeux, se masse les tempes du bout des doigts) Dans notre fratrie, les rôles sont simples. Je commence les histoires, Temps surveille la cohérence de leur déroulement et Faucheuse se charge de la fin. Bien sûr, tout le monde se figure que c’est moi qui ai le beau rôle. Faire le don de la vie, donner l’opportunité à tous ces récits d’éclore, concrétiser l’amour d’un couple, créer des familles, des lignées… Tout de suite, présenté comme ça, ça a l’air doux, facile, romantique, bucolique… Parce que personne ne se donne la peine de chercher plus loin, de réfléchir à tout ce que cela implique.

Ça arrange bien du monde, de se dire que La Vie fait un beau métier, le plus beau métier du monde. Et bien, figurez-vous que ce «beau métier» m’oblige à assister à toutes les reproductions possiblement fertiles, sans aucune exception. Quand il s’agit des plantes, passe encore, mais il y a certains jours où vous n’êtes tout simplement pas d’humeur à vous infliger les ébats de tous les animaux de cette planète: et croyez-moi, les humanoïdes sont les pires. Parce que ce que tout le monde oublie si volontiers, c’est que cela veut aussi dire assister, impuissante et muette, à toutes les relations non-consenties.

Les viols.

Les incestes.

Les violences conjugales.

Les mariages arrangés.

Les prostitutions forcées.

Et tout ce que cette espèce peut infliger aux autres, l’insémination artificielle des animaux de ferme, les reproductions de races dégénérés pour préserver une soi-disant «pureté», et je… (sa voix se brise et elle enfouit son visage dans ses mains)

Madame Darkside?
… Vous voulez un scoop? Temps, Faucheuse, moi, nous somme tous les trois malheureux. Je suis prête à parier que mon frère et ma sœur aussi crèvent d’envie de n’être que de simples humains se laissant porter par le cours des choses, avec une petite vie sans importance. Dieu a fait une erreur, une erreur cruelle, en faisant de nous autres Entités des êtes doués de conscience et de sentiments. Aucune créature pensante ne mérite de subir l’immortalité, à n’effectuer qu’une seule tâche pour l’éternité. Et gérer toutes les existences de tous les êtes vivants qui peuplent la Terre, à trois? Le rythme est intenable. Ce n’est pas parce que nous sommes de nature divine que nous ne ressentons rien ou que nous avons droit au libre-arbitre. Et je n’en peux plus.

Je n’en peux plus de devoir faire tomber enceintes des personnes qui n’ont rien demandé et porteront cela comme un fardeau quand tant d’autres se battent toute leur vie pour avoir des enfants. Je n’en peux plus d’envoyer dans ce monde dur et injuste des êtres qui souffriront au sein d’une famille dysfonctionnelle et d’une société cruelle. Vie de Merde, Chienne de Vie… comment en vouloir aux gens qui m’insultent de la sorte? Je suis l’unique responsable de leurs malheurs, en les obligeant à venir au monde sans leur laisser le choix. Mais ce n’est pas pour autant que les insultes ne me font pas mal, ce n’est pas pour autant que je ne mérite pas le respect. Tout le monde me reproche d’avoir infligé la stérilité aux vampires. Ce type n'était pas content de ses quintuplés? Il a eu ce qu'il voulait, et même plus. Je n'ai fait qu'exaucer son vœu. Bon, j’admet avoir exagéré, mais que cela serve de leçon: la Vie ne vous est pas acquise.

Quant à celles et ceux qui me défendent… n’en parlons même pas. Ces mouvements «pro-vie» ne savent pas de quoi ils parlent. L’avortement, le suicide, l’homosexualité, une insulte à ma personne? (rire jaune) Vous me donnez bien trop d’importance. Le sens de La Vie? Arrêtez de vous torturer avec cette question idiote, il n’y en a pas. La Vie n’est qu’une pauvre insensée qui boit du vin dans son pavillon de banlieue pour oublier ses peines en attendant la catastrophe inévitable qui se profile à l’horizon.

…

Ou plutôt, si. La Vie à un sens: en bas des escaliers à droite. La direction de la cuisine. Vous m'excuserez, j’ai besoin d’une nouvelle bouteille de bordeaux rosé.

[FIN DE L’INTERVIEW]