Prétentieux • Cynique • Frustré • Dépressif • Colérique • Egocentrique • Obsédé • Misanthrope • Talentueux • Pathétique • Etc, etc...

- Que pensez-vous de l'Entreprise avant de savoir ce qui se passait dedans ?
À peu près que dalle. Je ne me suis jamais intéressé qu’à mon petit nombril avant. Et puis encore aujourd’hui. Ceci au moins n’a pas changé.
- Si vous le savez, maintenant, qu'en pensez-vous ?
C’est une sacré merde, qui a fait de ma seconde existence un enfer d’ennui et d’humiliation. J’aurais mieux fait de rester crevé.
- Si vous deviez soutenir quelqu'un dans une guerre ouverte, serait-ce Le Diable, L'Ange Gabrielle ou La Faucheuse ? Et pourquoi ?
Lequel est le plus proche d’exterminer tous ces cloportes qui m’insupportent ? Le Diable, sûrement.
- Pensez-vous que la disparition des Dinosaures est une tragédie ?
Ce n’est pas leur disparition, la tragédie, c’est ce qui les a remplacé.
- Quel serait votre repas de condamné à mort ?
Une part de flan, sans doute. Mon seul pêché qui soit mignon.
- Si vous deviez vous décrire, quel serait votre principale qualité ? Et votre principale défaut ?
Ma première qualité, c’est moi. Mon grand défaut, c’est vous.
- Vous auriez plutôt tendance lors d'une fête à vous placer au centre de la pièce ou plutôt contre les murs ?
Je n’irais pas. Ou seulement pour aller cracher dans la sangria, puis déclencher l’alarme incendie au moment du slow, que personne ne puisse pécho cette fois.
- Quel est votre style de films – séries - jeux-vidéos – lectures – musiques favoris ?
Je ne lis que des grands auteurs – comme moi – ne supporte que des grands artistes – comme moi – et je conchie l’ensemble de la pop culture – contrairement à vous.
- Quels sont vos odeurs favorites ?
L’odeur de votre absence. L'apaisant parfum de la solitude.
- Vous jouez/aimeriez jouer de quels instruments ?
Pour faire quoi ? Quémander des sous-sous dans le métro ?
- Vous voulez des enfants, vous marier, avoir des clôtures blanches et adopter un boxer un peu con ?
Je suis de loin au-dessus de ces considérations bestiales et ridicules, merci.
- Votre chanson culte et votre chanson honteuse ?
Aaaavec le teemmmps ! Aveeec le temps vaaaa, tout s’en vaaa !
Et l’on se sent blanchi, comme un cheval fourbu.
Et l’on se sent glisser dans un lit de hasard.
Et l’on se sent tout seul peut-être, mais peinard.
Et l’on se sent floué par les années perduuuuues…
Alors, vraiment, avec le temps, on n’aime pluuuus…. !
- Vous trouvez-vous beau ?
Mon œuvre est belle. Mon enveloppe est mortelle. Qu’importe mon apparence, ma mémoire traversera les siècles.
- Si vous étiez un animal, lequel seriez-vous ?
Le ver qui transperce en ce moment ta peau, tes paupières, tes yeux, pour aller bientôt ronger les restes de ton cerveau faisandé, dévorer tes jolis rêves comme tes pensées les plus noires.
- Vous préféreriez être Hercule Poirot ou Sherlock Holmes ?
Je serais plutôt le méchant, à tout hasard.
- DC ou Marvel ?
Je me torche avec les deux.
- Vous êtes plutôt travailleurs ou paresseux ?
Si j’ai l’air de ne rien faire, c’est que je pense. Or chacune de mes pensées est une petite révolution poétique et intellectuelle. Donc moins je bouge, moins j’en fais, et plus le monde avance.
- Si vous étiez un péché capital, lequel seriez-vous ?
Je suis l’orgueil, de toute évidence.
- Vous êtes un oiseau nocturne ou un lève tôt ?
Ni l’un, ni l’autre. Je suis l’albatros en exil, celui du poème, cerné par les huées et les idiots cruels que vous êtes.
- Quel serait votre journée parfaite ?
Un jour sans personne, bien sûr, enfermé dans mon bureau, à poser par écrit mes pensées les plus parfaites.
- Quel est votre fête populaire/religieuse favorite ?
La Sainte-Moi.
- Quels sont vos passes-temps ?
Me plaindre, haïr, désespérer, m’adorer, écrire.
- Aimez-vous votre métier ?
Je le déteste. Il me colle au cul comme un cancer de la prostate. Rédiger des laïus pour emballages et des slogans débiles pour faire bouffer de la daube à des imbéciles, cela ressemble à un châtiment mortel, le comble de l’ironie, en ce qui me concerne.
- Auriez-vous une recommandation à faire à l'Entreprise ?
Qu’elle aille se faire foutre au loin, très loin, jusque sur une autre planète, tiens. De préférence à la surface d’un caillou aride et sans atmosphère, écorchée par un soleil énorme, placé à bout portant, de sorte qu’il remplirait tout le ciel de sa face infernale et destructrice. Ce sera tout.

Croyez-le ou non, Cédric n'a jamais été enfant.

En cela je veux dire qu'il est né tel quel, déjà sombre et dur de caractère, avec une âme de vieillard atroce, aigri avant même d'avoir pu téter le sein de sa mère. Comme si quelqu'un, quelque part, à un moment donné, avait commis une erreur, oubliant peut-être de la nettoyer, son âme, ou de la réinitialiser, avant de la renvoyer sur Terre pour qu'elle s'y réincarne, en lui-même, dans son petit corps rose, nu et fragile de nouveau-né, de bébé braillard et fripé. Après tout, c'est très possible. Cela expliquerait bien des choses. Et notamment, pourquoi il a toujours conçu une méfiance proche de la haine, comme une peur instinctive, soutenue par beaucoup de mépris, à l'égard de ses odieux congénères. Disons surtout qu'il n'a pas eu besoin d'en faire directement l'expérience pour comprendre, dès son plus jeune âge, tout le mal et la violence qui couvent et bouillonnent dans le cœur des hommes, des femmes, et de tout ce qui peut bien exister autour et entre les deux. Ce qui ne l'a pas pour autant empêché d'en faire effectivement les frais ensuite, de nombreuses fois d'ailleurs, et parfois même de manière assez cinglante...

Enfin, toujours est-il que son enfance, et toute sa jeunesse encore, ne furent pas des plus simples. Sans être non plus catastrophiques, exemptes d'incroyables mélodrames. Mais parents divorcés, distants de lui, isolement émotionnel et intellectuel, repli sur soi et dans les caves obscures du ressentiment, léger syndrome autistique, études ratées, condamnation au salariat le plus médiocre... rien que de très banal, après tout. La vie de presque tout le monde. Seulement, quand on sait aussi mal que lui apprécier la compagnie des gens, il est difficile en effet de se faire des amis, ou même rien que des connaissances, donc de s'intégrer où que ce soit, ou jamais très longtemps. Et quand on n'a pas d'amis, il est d'autant plus difficile d'apprécier de vivre en général, et surtout de grandir sainement. Car inversement à ce que lui-même vous dirait, paraphrasant qui vous savez, l'Enfer n'est pas les autres. Tout au contraire. Je vous l'assure, et je m'y tiens, contre l'avis de mon propre personnage.

Non, le véritable enfer c'est plutôt l'indifférence humiliante, la solitude invincible, accablante, l'absence infinie de tendresse et de reconnaissance. Un sentiment d'abandon, d'oubli, l'impression tenace et terrifiante d'être transparent, inutile, de vivre pour du vent, accroché à du vide, et comme en chute libre à travers l'espace, noir et glacé, de se dissoudre lentement, de jour en jour, dans un bain d'absurdité gluante, de ne faire qu'étouffer peu à peu, sans personne pour s'intéresser à notre sort, en attendant d'y rester, de disparaître pour de bon. D'en arriver à se dire en plus que la solution se trouve peut-être là, que la mort ne serait pas si mauvaise au fond. Peut-être même une délivrance, une douceur inattendue. Se mettre à la convoiter comme un bonbon.

Et c'est cela, précisément, la plus grande bêtise de ses deux existences. Il ne l'avouera jamais, ni à lui-même, ni à quiconque, préférant se trouver mille autres prétextes un peu plus sublimes pour excuser son geste, mais c'est bien, en vérité, pour l'amour d'une fille, d'une vile créature de chair et de sang, avec de jolis seins et de jolies fesses, parce qu'une misérable femelle aux longs cheveux dorés, à la voix mielleuse, qu'il avait pris pour sa muse, dans un moment de folie pure, et demandé en fiançailles, de façon manifestement précoce et présomptueuse, parce que la traîtresse, qui prétendait pourtant l'aimer aussi, un jour soudain sembla se raviser, lui annonçant abruptement la fin de leur petite histoire, et c'est pour cette seule et pitoyable raison, donc, que Cédric, le soir suivant, au comble du désespoir, le cœur en rade et l'âme en peine, sur un second coup de folie, se mit à désirer la mort si fort qu'il s'en jeta du haut d'un pont, droit dans les flots bouillonnants de la première rivière arrivée. Son corps fendit la surface miroitante et brisée comme une pierre, dans un grand fracas liquide. Et bien qu'il eut espéré que n'importe qui se jetasse à sa poursuite, qu'une sirène ou un marin, comme dans les contes, vint à sa rescousse pour l'arracher au courant, et d'un regard inquiet ou réprobateur, lui redonner le goût de vivre encore, il n'en fut rien. Son calcul était raté, personne n'avait remarqué son plongeon. Transis de froid, à bout de force et d'envie, il coula trop vite et se noya rapidement.

Il avait 27 ans à cette époque. Et ce fut de cette manière qu'il rencontra la Faucheuse. Lorsqu'elle lui présenta son deal, il était abasourdi, honteux de sa faiblesse, furieux contre lui-même, d'avoir osé gâché sa première chance pour les beaux yeux d'une salope infidèle. D'autant qu'il avait tellement de choses encore à écrire, tellement plus de sujets à explorer, de douleur à convertir en rimes et en pamphlets enragés. Il en aurait d'ailleurs deux fois plus désormais, après cet épisode tragique et ridicule. Il aurait de quoi faire trembler le monde entier sous les coups de sa vengeance littéraire. Alors, ni une, ni deux, sans lire réellement ni les petites, ni même les grosses lignes du contrat que l'avatar de la mort lui tendait, il s'empressa de le parapher, soulagé à l'idée de pouvoir tout reprendre au début, d'obtenir ainsi une revanche facile, de retrouver son œuvre et la possibilité de la faire éclater au grand jour, de se couvrir enfin de gloire, avant l'heure de son prochain décès.

Encore une fois, jamais au bon moment, décidément, il oublia de se méfier. À son retour sur Terre, il était un employé de l'Ultimate Death Company, préposé, sans doute par dérision, à la conception et à la rédaction de tous les messages et slogans à caractère publicitaire de la firme, et incapable à jamais d'échapper à son poste, sans la capacité de rompre ce contrat-piège, lié jusqu'au bout à cette parodie d'écriture, au service des marchands et des financiers, humains ou non, de ceux qu'il avait toujours considéré comme la lie de toute la création. Voilà qu'il était malgré lui de la famille, incorporé par ruse dans l'univers honni d'une gigantesque multinationale.

Neuf ans plus tard, connu depuis longtemps de tous les services concernés, pour être l'un des plus unanimement détesté de tous les collaborateurs, au moins du département marketing, le plus irascible, le plus insupportable, il s'est tout de même plus ou moins acclimaté à sa nouvelle vie, rendant de l'assez bon travail, même si toujours à la dernière minute, et jamais sans oublier de se plaindre copieusement, d'absolument tout, avant, pendant, et après...